Le Sud Lipez et la route des lagunes en vélo
Le Sud Lipez
Depuis que nous sommes en Amérique du sud, nous nous efforçons d’arpenter les plus belles routes, celles qui nous font rêver. Certaines sont mythiques, d’autres le sont devenues à nos yeux tant nous les avons aimées. Mais qu’est-ce qui définit une « belle route » ? Le paysage, le plaisir que l’on prend à pédaler, l’ambiance… Les facteurs sont nombreux, et parfois une mauvaise météo peut rendre une route soi-disant mythique plutôt ordinaire ou décevante. Finalement, notre ressenti est personnel et dépend de tous ces facteurs. Le plus gros défaut des routes mythiques, c’est donc leur réputation, les attentes que l’on place. Nous le savons quand nous nous embarquons sur la route du Sud Lipez. Sera-t-elle à la hauteur de nos attentes ? Mais également, serons-NOUS à la hauteur de cette route ?
Le Sud Lipez, c’est un rêve. Sept à dix jours en autonomie, le temps de traverser cette région du sud de la Bolivie jusqu’à la frontière chilienne. Notre itinéraire est tout tracé : la célèbre route des lagunes. Nous en avons lu des témoignages et des descriptifs de cette route… Dans notre imaginaire, le Sud Lipez est un désert géographique et humain, sur lequel s’émaillent de petits joyaux : les fameuses lagunes. Mais surtout, pour nous cyclos, le Sud Lipez représente sans doute LE défi physique du voyage. En effet, de San Juan jusqu’à la frontière chilienne, la route n’est pas asphaltée, nous devrons rouler sur une piste qui parfois est plus que mauvaise (et du coup, nous pousserons plus que nous ne roulerons…). Déjà à la casa de ciclistas de La Paz, les conversations tournent autour du Sud Lipez. Nous choisissons presque tous d’y aller, et pour ceux qui débutent leur voyage, il s’agit clairement du premier challenge : « tout se jouera au Sud Lipez », dit-on. Au fond de moi, je me dis surtout que s’il y a un endroit où je vais pleurer, c’est bien là…
Mais pas le temps d’avoir des états d’âme et des doutes, le séjour à San Juan est court, juste ce qu’il faut pour recharger en nourriture, et demain, à nous les lagunes ! Nous prenons tout de même un malin plaisir à acheter toutes ces provisions, en nous disant que nous vivrons de tout cela pendant presque dix jours ! A nous les pâtes, le riz et le quinoa… Avec tout de même quelques cookies, pour le moral…
C’est Parti…
Le premier jour n’est pas très difficile, mais donne déjà un petit aperçu de ce qui nous attend. Le vent commence à souffler vers 9h30 et nous complique la tâche, même si pour l’instant la piste est bonne. Une première déception nous attend : les Jeep touristiques sont bien plus nombreuses que ce que l’on imaginait. Léo pensait en croiser quatre dans la journée, moi je me disais qu’il y en aurait sans doute un peu plus, mais finalement dès le matin elles nous doublent par dizaines… Nous sommes rassurés plus tard : les tours fonctionnent tous selon les mêmes horaires et sont partis le matin de San Juan. Le reste de la journée, le désert nous appartient ! La montée du premier col est difficile, avec l’apparition du sable et de la tôle ondulée… Alors très vite, on doit ravaler notre orgueil, descendre du vélo, et pousser. Nous ne sommes pas des surhommes, nous ne couperons pas aux caprices de la piste. Mais un super bivouac nous attend, et nous avons quand même fait 55km pour ce premier jour : nous sommes confiants. Et surpris, car tout le monde nous annonçait du grand froid dans le Sud Lipez, et nous, qu’est-ce qu’on a chaud ! Même la nuit, nous sommes plus que bien, malgré l’altitude (4000m).
Une autre belle journée nous attend le lendemain, avec la découverte des deux premières lagunes. La première est splendide : les flamands roses sont juste devant nous, tout près. Nous commençons à comprendre ce que le Sud Lipez a de magique.
Et puis, il faut bien que les choses se gâtent. Le troisième jour, les nuages débarquent plus tôt que d’habitude, et bien plus menaçants. Si menaçants que nous faisons sauter la pause déjeuner pour arriver le plus vite possible à notre destination : l’Hôtel du Désert. Ce dernier porte bien son nom, car aujourd’hui pas de lagunes, nous voyons le même paysage, perpétuellement. Du sable, du sable, du sable… La piste n’est pas si terrible mais je suis fatiguée, énervée et un peu inquiète : on s’était mis d’accord pour prendre notre temps dans le Sud Lipez, mais si la météo nous tourne le dos, nous allons être forcés de mettre un coup d’accélérateur. Et encore six jours comme ça, pas sûr que je le supporte… Finalement, on évite l’orage et on arrive tôt à l’hôtel. Pas question de prendre une chambre (même les dortoirs sont pour les riches…), nous camperons donc à côté des bâtiments. Nous sommes frigorifiés et un peu dépités, mais le moral remonte quand nous voyons arriver les trois Belges que nous avions laissés à La Paz, ainsi que Corinne et Loïc, deux Bretons rencontrés le jour même, et qui voyagent en vélos couchés. Nous rencontrons également Giovanni, un Italien venu en Bolivie pour trois semaines de vélo. Un vrai rassemblement de cyclos ! Nous oublions donc un peu les peines de la journée, même si le lieu de bivouac est loin de faire rêver.
En plein dans le Sud Lipez
Nous comprenons vite que notre moral va subir des changements aussi radicaux que ceux que l’on observe dans le paysage… Autant les lagunes sont splendides, autant le désert est monotone. Autant nous pouvons être euphoriques, autant la minute d’après nos nerfs peuvent lâcher d’un seul coup. Le quatrième jour en sera l’illustration parfaite. En partant de l’hôtel, nous sommes sereins : il fait beau ce matin, la piste est semble-t-il difficile sur une dizaine de kilomètres, mais nous avons quand même bon espoir de rejoindre la Laguna Colorada aujourd’hui. Et très vite, nous déchantons. La piste est affreuse, le vent s’y met, les nuages s’épaississent. Et plus on avance, plus la situation semble se détériorer. Nous bataillons pour arriver à l’ « Arbol de piedra » pour midi. Cet endroit est assez incroyable, car des formations rocheuses improbables sont apparues au beau milieu du désert, dont le fameux « arbre de pierre », qui a été formé par le sable et le vent. Mais pour y arriver, quelle galère… Les deux derniers kilomètres sont interminables, quand je n’ai pas mal aux fesses à force de rebondir sur la tôle ondulée, c’est le sable qui nous empêche d’avancer. J’enrage, j’en ai marre, je sens les larmes qui montent, je n’ai jamais été très douée pour contenir ce genre d’émotions… Je me demande cent fois « mais qu’est-ce que je fous là ?! », mes réflexions perdent toute nuance et je commence à me dire « vivement qu’on sorte de ce pays de merde ». Alors que je sais très bien que ce qu’on voit en Bolivie est unique. Dans ce genre de situation, nous décidons qu’il n’y a qu’une seule chose à faire : nous arrêter là pour la journée. Tant pis s’il est 13h, tant pis s’il reste moins de 20km avant la magnifique lagune qui nous attend en bas, on verra ça demain. Et on se serre les coudes. A ce moment-là plus que jamais, je me dis que je n’aurais pas pu faire ça sans Léo, j’aurais sauté dans le premier 4×4 venu pour qu’il me dépose à la frontière !
Et le lendemain, nous sommes bien contents de ne pas avoir continué la veille. Les 18km de descente sont aussi difficiles que pour arriver à l’arbre de pierre, la piste se transforme en bac à sable tous les cent mètres, encore une fois il n’est même pas midi que nous sommes déjà à bout… Mais la voilà, la fameuse Laguna Colorada. Nous passons le contrôle d’entrée du parc national, payons les 150 bol (20€) par personne. Ah, parlons-en, de ce « parc national ». Un parc national où les 4×4 ne respectent pas la piste principale et passent où ils ont envie, en labourant la surface sur des dizaines (centaines!) de mètres de large, ravageant ainsi le territoire des vigognes. Un parc national où l’on construit une usine chimique et où des énormes camions circulent. Un parc national où le sol est parfois jonché de papier toilette, car visiblement 20€ l’entrée par personne ce n’est pas assez pour construire des toilettes publiques près des points d’intérêt. A la fin, on se demande vraiment où est parti notre argent. Ah si, peut-être dans la construction de nouveaux hôtels de luxe…
Mais revenons à la lagune ! Au début, Léo est déçu d’avoir fourni tous ces efforts pour ça, lui qui est daltonien, il voit la lagune marron et me dit « C’est ça, la lagune ? – Oui ! – Ouais, c’est un lac quoi… ». Il est vrai que la couleur n’est pas encore bien tranchée. Heureusement, plus nous nous approchons, plus le paysage nous émerveille. L’eau est vraiment rose, c’est improbable. Nous traînassons un peu pendant la pause déjeuner, au bord de cette merveille et avec pour seule animation les légers cris des flamands. Mais nous sommes toujours dans le Sud Lipez, vous ne pensiez tout de même pas que les galères étaient finies pour la journée ?! Non, pour rejoindre le bivouac à 12km de là, nous voilà de nouveau embarqués pour un rodéo sur la tôle ondulée… Fatigant. Mais au moins aujourd’hui, il fait grand beau, et nous pouvons bouquiner au soleil pendant deux longues heures une fois arrivés…
Il faut l’avouer, nous commençons à être optimistes et à voir le bout des galères : la journée du lendemain sera consacrée à une montée de col, raide mais normalement sur une bonne piste, pour ensuite redescendre vers une nouvelle lagune : la Laguna Chalviri. Effectivement, la piste est bien meilleure, ça monte raide mais pour une fois, ça fait du bien de fournir des efforts sur le vélo, et non à côté… La descente est plutôt rapide, même si nous devons de nouveau affronter un vent violent et glaçant sur les derniers kilomètres. Mais au bout, c’est une récompense de taille qui nous attend : les sources d’eau chaude ! Des thermes ont été construits aux abords de la lagune, mais nous, nous avons connaissance d’un petit coin de paradis seulement quelques kilomètres avant : une petite piscine artisanale directement alimentée par la source chaude. A l’extérieur, le vent est toujours aussi violent et glacial, mais une fois dans le bain, nous sommes les plus heureux du monde ! La vue est incroyable et surtout, il fait chaud ! La lagune Chalviri reste peut-être notre préférée. Si la Laguna Colorada était fascinante pour son rose soutenu, la Laguna Chalviri est plus sobre, mais ses couleurs pastels sont d’une beauté incroyable. Nous nous rendons ensuite aux thermes officiels où nous retrouvons les trois Belges, qui sont arrivés la veille et s’accordent une journée de repos à barboter.
C’est en passant un peu de temps près des thermes que nous nous rendons vraiment compte de l’absurdité des tours opérateurs… Nous avions déjà remarqué que les 4×4 nous doublaient tous à la même heure, car ils suivent un programme « chargé » et doivent être à tel endroit à telle heure. Et justement, les tours prévoient tous d’arriver aux thermes soit le matin pour le lever du soleil, soit le midi pour le déjeuner, soit après le coucher du soleil. Le reste du temps, l’endroit est désert, et les gérants nous laissent donc nous baigner sans nous faire payer. Les Belges nous préviennent : le soir, c’est ambiance boîte de nuit dans les bassins, les groupes de touristes débarquent, les chauffeurs montent le son dans les Jeep et c’est la fête… Nous décidons donc de bivouaquer un peu plus loin, sur la colline. Nous ne serons pas dérangés par le bruit ce soir-là (finalement, ce n’est pas la fête tout le temps), mais le matin, nous sommes aux premières loges pour observer l’effervescence dans le centre aquatique du coin… Car oui, ce ne sont plus des sources d’eau chaude au bord d’un lac paradisiaque, c’est un centre aquatique. Des dizaines de personnes pataugent, rigolent, font des selfies… Chacun sa manière de faire du tourisme, c’est sûr, mais nous ne comprenons pas bien comment on peut profiter d’un lever de soleil majestueux en jaquetant dans tous les sens et en étant serrés comme des sardines… D’ailleurs, nous en voyons certains, qui refusent de se glisser dans les bains et vont plutôt se promener au calme, ou prennent des photos de la lagune. Je pense que nous aurions fait la même chose… C’est en observant cette scène que Léo et moi faisons notre premier debrief. Le Sud Lipez en vélo, ça vaut le coup ? Impossible de répondre par oui ou par non, c’est bien plus complexe. En voyant les tours opérateurs qui se retrouvent tous en même temps au même endroit, nous sommes unanimes : nous préférons largement faire cette route en vélo plutôt que de nous retrouver dans une foule de touristes. Mais quant à savoir si la route des lagunes est aussi mythique que ce que l’on en disait, nous sommes plus partagés… Evidemment, nous ne regrettons pas d’être venus, car le paysage est vraiment unique. Mais pour être honnêtes, avant d’être la plus belle route que nous ayons faite, c’est surtout la plus dure, et la plus chiante ! Le ratio effort/ beauté des paysages est quand même un peu déséquilibré : certes c’est beau, mais le prix à payer est un peu trop fort à notre goût. En comparaison, la boucle du Huascaran au Pérou était plus spectaculaire, mais bien moins épuisante psychologiquement. Et nous étions plus tranquille au Huascaran qu’ici au beau milieu des Jeep.
Bref, nous parlons, nous parlons, mais nous n’avons pas encore fini ! Il reste deux jours avant la frontière, et deux lagunes : la Laguna Blanca et la Laguna Verde. Je ne vais pas m’attarder sur notre état d’esprit, car l’histoire se répète : nous sommes confiants, la piste s’annonce meilleure, et BIM les rafales de vent, et BIM le froid. Nous avons perdu notre insouciance du début : oui, il fait froid au Sud Lipez. Et nous qui commencions à nous dire qu’au moins, le matin c’était calme et ensoleillé, le dernier réveil se fera à presque -10 dans la tente avec un vent glaçant dès 8h… Mais nous gardons notre bonne humeur, la bonne humeur de ceux qui savent que c’est bientôt fini et qu’il faut quand même savourer ces paysages splendides… Car la lagune verte ressemble à une immense piscine turquoise, ce qui rend le contraste avec la piscine blanche d’autant plus saisissant.
Et voilà, c’est le huitième jour, le dernier. Les Jeep se garent juste à côté de nous alors qu’on a à peine fini le petit déjeuner, histoire de nous rappeler jusqu’au bout que ces étendues sauvages ne le sont plus vraiment… On s’active pour partir le plus vite possible. Plus loin, nous disons au revoir au Sud Lipez. Le petit pincement au cœur est quand même présent, nous avons conscience d’avoir vécu quelque chose de fort malgré tout. Le vent se lève de face, plus fort que jamais, comme pour nous retenir ici. Après 10km de piste, nous voyons un bâtiment, puis un panneau « Republica de Chile », puis l’asphalte. Je pensais que j’allais sauter de joie, être heureuse, mais sur le coup, je suis exténuée, je sens une boule grossir dans mon ventre et une envie de pleurer m’envahir. Ça y est, c’est fini. Je suis soulagée de quitter la Bolivie et en même temps je me sens coupable d’avoir une telle pensée.
Cette expérience nous laissera un goût spécial, pour la première fois nous sommes sûrs de ne pas vouloir refaire cette route de notre vie. Elle est sans doute mythique, mais elle ne restera pas dans notre top 5 des plus belles routes en vélo, car justement, à de nombreux passages, ce n’était plus ce qu’on appelle du vélo… Mais nous sommes infiniment heureux d’avoir pu réaliser ce rêve. Un rêve qui a parfois viré au cauchemar, un rêve duquel on voulait se réveiller le plus vite possible. Mais un rêve quand même, peuplé de vigognes et de flamands roses, rendu plus doux grâce à la splendeur des lagunes.
7 Comments
Oulala cest beau mais ca avait l’air dur dur ! Bravo d’être allé jusqu’au bout ! Les photos font rêver en tout cas ! Des bises
Olà les zamis!
« courage et persévérance
valent bien quelques récompenses »
😉
Vous ne m’avez pas fait envie avec les pistes défoncées et ensablées,
mais alors…
alors…
Comme vous m’avez fait rêver avec les lagunes aux flamands, les bains dans les sources chaudes, et les couchers de soleil :)))
C’est incroyable, on ne dirait pas que vous avez le même soleil que nous 😉
Courage, continuez bien et bisous!
Djé
Et pas de bloc dans le sud lipez???
A l’arbre de pierre on aurait pu mais trop de vent et surtout trop de touristes ! Après on a rien vu d’autre mais il paraît que ya un site très connu dans la région. On a pas eu le courage d’aller voir…
Bravo à vous les galériens d’avoir finit cette route en vélo, ça à l’air bien dure ! Du rêve en payette votre voyage, profité du soleil ici la neige commence à arriver 😉
Quand on est assis tranquillement dans son canapé à regarder les photos, on trouve juste ça incroyablement beau et sauvage… Heureusement que le texte est là pour nous faire transparaitre le froid, le vent, le sable, et les touristes! Quelle expérience de fou vous avez l’air d’avoir vécu… Chapeau bas les copains!
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