Premier jour
Jeudi 31 août, 7h45. Le soleil commence déjà à chauffer dans le petit village de Caraz. Nous fermons les sacoches, regonflons nos pneus (car sur la piste de la lagune on avait dégonflé un peu les pneus pour faire des amortisseurs), nous nous tartinons de crème solaire, et nous voilà repartis sur la route, cette fois en asphalte, ouf !
On aurait pu faire un trek dans cette majestueuse Cordillère blanche, ou dans sa voisine Huayhuash, mais nous avons opté pour le vélo, ça nous changera de nos activités habituelles… 😉 Cette petite idée nous trottait dans la tête depuis Quito, où nous avions rencontré un couple de Basques qui nous avait parlé de la boucle du Huascaran. Le Huascaran, c’est tout simplement le plus haut sommet péruvien (6768m), alors faute de pouvoir grimper au sommet (on vous l’a dit, ça sera pour une prochaine, ahah !), nous allons en faire le tour !
Nous devons d’abord rejoindre le village de Carhuaz pour commencer la véritable boucle. Les 35km sur l’asphalte se passent sans problème, nous passons par la ville de Yungay, qui sera le point d’arrivée de notre boucle. Ce nom vous dit quelque chose ? Léo vous en a parlé : le fameux – et désastreux – tremblement de terre de 1970. Après la catastrophe, la ville a été reconstruite plus à l’abri, et un « Campo Santo » se tient là où le vieux Yungay a disparu. Quand nous passons, nous bénéficions d’une vue imprenable sur le Huascaran, sans un nuage dans le ciel. Difficile d’imaginer un tel drame dans un cadre aussi idyllique, mais l’immense cimetière à étages et la statue du Christ tourné vers la montagne nous rappellent que cette dernière peut se montrer cruelle.
Bon, revenons à la boucle… La première journée est donc très agréable, nous progressons tranquillement, même si au total nous ferons presque 2000m de dénivelé ! Les choses se gâtent en début d’après-midi car nous devons nous enfoncer dans une gorge étroite où le vent nous livre un accueil dont on se serait bien passé. Nous arrivons finalement à l’entrée du parc national vers 15h30. On s’apprête à s’acquitter des 10 soles de droit d’entrée (à peine 3€), quand le garde nous demande si on compte camper à l’intérieur.
« – Oui.
- Combien de nuits ?
- (on commence à se douter d’un truc…) Oh… Une, deux maximum…
- Si vous campez, c’est 65 soles par personne.
- Quoi ?!
- C’est le tarif pour les campeurs, mais en payant vous pouvez rester 21 nuits dans le parc. »
Bah oui, on a bien envie de payer 20€ chacun pour dormir quatre nuits dans le parc, à ce prix-là on va à l’hôtel nous… On finit par dire au garde que non non non, nous n’allons pas camper en fait, on va aller à Chacas directement ce soir et on dormira à l’hôtel là-bas. Hum, Chacas est à 50km, dont 20 de montée, il est 15h30 et nous sommes à vélo… Le garde a bien compris le subterfuge, mais il nous laisse passer, en nous conseillant quand même d’être très prudents « si vous campez quand même », à cause des patrouilles de rangers qui vérifient les billets. Forcément, ça ne nous rassure pas vraiment, mais on a quand même l’impression que le billet à 65 soles est une grosse arnaque : pourquoi les campeurs devraient payer plus cher que les touristes et les Péruviens qui viennent en collectivos qui crachent des nuages de fumée, et qui laissent sur leur passage des quantités de bouteilles en plastique vides sur le bord des routes ? Bref…
Nous poussons jusqu’au coin de bivouac que nous avions repéré auparavant sur le descriptif de la boucle, et nous trouvons un couple de Hollandais, en vélo eux aussi ! Comme ils ont payé le ticket officiel, ils sont bien en vue de la route, installés au bord de la rivière. Nous irons tout de même un peu plus loin pour rester dissimulés… Après cette rude journée, nous sommes bien contents de trouver un bivouac avec vue grandiose, et surtout, un peu de repos…
Deuxième jour.
Nous avons décidé de partir ensemble avec les Hollandais, après tout, le Pérou est tellement immense que les rencontres entre cyclos se font rares, autant profiter d’un peu de compagnie ! Cette journée sera assez courte, « seulement » 15km de montée dans des lacets vertigineux, puis 3km sur une vieille piste pour rejoindre le Punta Olimpica, le col que nous franchirons à presque 4900m d’altitude ! En discutant avec Jan et Jantien, le trajet passe assez vite, et les lacets s’abordent plutôt tranquillement. Pourtant, on monte, on monte, et bientôt les glaciers semblent à portée de main ! La vue est époustouflante, il fait beau, on n’échangerait notre place pour rien au monde ! A plus de 4700m, la route emprunte un tunnel, mais nous poursuivons sur l’ancienne piste, un peu défoncée, qui monte jusqu’à 4900. La vue de l’autre côté n’est pas aussi spectaculaire qu’on ne l’imaginait, mais on est bien contents de notre performance ! Il est midi, et pour nous cette journée s’arrête juste 300m plus bas, où nous nous installons dans un petit refuge au pied d’une lagune. Elle est pas belle la vie !
Troisième jour
Si on ne sent plus l’altitude pendant l’effort, par contre la nuit à plus de 4500m n’aura pas été la meilleure de notre vie, Léo et moi ne trouvons pas le sommeil. Nous entendons souffler le vent à l’extérieur, et à 5h surprise ! Des flocons de neige s’invitent dans le refuge… Pour le beau lever de soleil sur la lagune, on repassera. Le réveil est un peu difficile, il fait froid, il y a du brouillard partout, rien ne nous invite à sortir de nos duvets… Finalement nous entamons la descente à 9h30, direction Chacas, 30km plus bas. Nous regrettons assez vite d’être partis si tard, car nous avons encore 30km à faire après, dont presque 20 de montée… Nous disons au revoir à Jan et Jantien, qui ne font pas la même boucle que nous, et nous repartons de notre côté pour rejoindre une piste en terre, piste que nous ne quitterons plus jusqu’à Yungay !
L’après-midi est éprouvant. La piste n’est pas trop mauvaise mais le temps est nuageux, nous n’avons aucune vue, il tombe quelques gouttes et en plus de cela nos attaches rapides de roues avant semblent se desserrer de plus en plus facilement. Léo s’inquiète, s’énerve, et on s’arrête souvent pour tenter de resserrer le tout. La faim se fait sentir et nous nous arrêtons dans un petit hameau où nous trouvons un menu complet. Nous sommes les seuls gringos du village, forcément, et avec tout notre attirail on ne peut pas dire qu’on passe discrètement… Les regards se posent tous sur nous, sans animosité aucune mais on ne se sent pas trop à l’aise ! Encore quelques kilomètres et nous arrivons au bivouac, franchement contents de finir cette journée.
Quatrième jour
Ce matin, nous nous réveillons encore une fois sans le soleil, on commence à être un peu déprimés, d’autant plus que quand je me lève la nuit le ciel est complètement dégagé et plein d’étoiles, mais trois heures après, tout est bouché !
Nous partons tôt cette fois pour ne pas nous retrouver au bivouac à plus de 17h comme hier. Juste avant de partir, Léo casse une dent de son dérailleur en traversant le canal qui séparait notre bivouac de la piste… Outch, nous qui prévoyions un départ efficace… Heureusement, plus de peur que de mal, la dent cassée est sur le grand plateau, celui dont on se sert le moins, et pour l’instant tout roule comme avant. La piste est toujours relativement bonne, mais les derniers trois cents mètres avant le col à 4000m sont bien raides ! Bien que nuageuse, la journée est tout de même agréable, on ne va pas se plaindre, au moins il ne pleut pas et le soleil parvient même à percer ! Nous nous arrêtons manger un chocho (salade de graines de lupin, tomates, oignons et persil marinés dans du jus de citron, c’est une spécialité des Andes!) chez une dame qui nous accueille chaleureusement dans sa petite boutique. Pour l’instant, la gentillesse des Péruviens ne fait pas défaut, ils nous saluent et nous encouragent, et leurs sourires suffisent à réchauffer nos cœurs même si le temps reste maussade !
Il nous reste alors une seule et dernière montée pour atteindre un nouveau col à presque 4800m, nous voulons en faire le plus possible aujourd’hui pour arriver tôt au col demain. A 16h, c’est chose faite, nous trouvons un emplacement de bivouac parfait à 4200m. Et pour nous récompenser, le soleil fait son apparition et chasse les nuages. D’un côté, le Yanapacca (5460m), et de l’autre, le Chopicalqui (6354m) qui masque son grand frère le Huascaran, que nous n’avons pas vu depuis un moment finalement !
Les températures chutent assez rapidement donc nous filons sous la tente, tout va bien, jusqu’au moment où on sent quelque chose exploser sous nos fesses… C’est le matelas, dont une couture vient de lâcher. Il avait déjà deux boudins fusionnés, ce qui limitait le confort, mais maintenant c’est trois boudins qui ont fusionné en un seul, autant dire qu’il reste à peine plus de 30cm de large pour s’allonger dessus… On sait ce qu’on va devoir acheter à Huaraz !
Cinquième jour.
Aujourd’hui, c’est la dernière journée que l’on va passer dans le parc, et c’est surtout le jour où l’on va repasser de l’autre côté pour admirer les sommets du Huascaran, le Huandoy, le Pisco et le Chacraraju.
Donc s’il faut que le temps se découvre, c’est maintenant !
Et justement, si de notre côté les nuages débarquent vite, il nous semble que de l’autre côté du col, il fait encore grand beau… Alors on pédale ! La piste est franchement horrible mais bon, on avance quand même, on dépasse de jolies lagunes, et enfin j’aperçois le dernier virage… Je bifurque, le col est étroit et ne laisse pas entrevoir grand chose, et puis… Plus de mots. Je suis aux premières loges d’un spectacle incroyable, je vois se dérouler face à moi une ligne de crêtes effilées, toutes avoisinant les 6000m. Et le Huascaran apparaît lui aussi à ma gauche, encore un peu timidement, mais bien là. Léo, qui s’était arrêté prendre des photos plus bas, me rejoint, et on se retrouve comme deux gamins à sourire bêtement devant ces géants. Quand on voit les innombrables lacets qui nous attendent pour la descente, nous sommes complètement euphoriques ! Cette journée est sans aucun doute l’une des plus belles de tout le voyage…
Nous prenons le temps de nous faire un café, sans doute le plus savoureux de notre vie ! Et enfin, on se lance. Les premiers lacets sont un pur bonheur, la piste est de nouveau bonne, on se dit qu’on ne va pas tarder à arriver aux lagunes qui nous attendent tout en bas ! (enfin, quand même à plus de 4000m d’altitude)
Sauf qu’apparemment, ils n’ont pas voulu refaire plus de cinq lacets, car la piste redevient affreuse… Des pierres partout, tellement que l’on doit descendre des vélos pour ne pas risquer de casser quelque chose. Au bout d’une heure de descente, scène incroyable, nous voyons quatre cyclo, un motard et deux randonneurs au bord de la piste, en train de discuter joyeusement et d’échanger pain et fromage (péruviens hein, on ne s’affole pas!). Nous nous joignons à eux et discutons pendant près de deux heures avec tous ces voyageurs (dont quatre étaient français, on est décidément partout).
Eux sont complètement déprimés par l’état de la piste, qui ne cesse de se dégrader depuis qu’ils ont quitté Yungay. Léo et moi nous félicitons d’avoir choisi de faire la boucle dans ce sens-là, car franchement la montée sur cette piste ne fait pas rêver ! Finalement nous nous décidons pour repartir, car nous avons toujours un peu peur de nous faire choper par les rangers du parc, même si nous n’en avons pas croisé un seul en quatre jours… Nous préférons sortir du parc ce soir et camper plus loin. Forcément, à force de s’émerveiller devant les paysages et de bavarder avec les voyageurs, il est déjà 15h30, et on se rend compte qu’on n’a pas fait de repas depuis ce matin. La piste n’en finit pas d’être impraticable, on avance comme des escargots. Finalement nous sortons du parc, et quelques centaines de mètres plus loin, yataaaa ! On voit une pancarte « bière artisanale » qui nous dirige droit vers une sorte de food-truck avec des tables dehors et une terrasse sur le toit… On explique aux deux jeunes barmen qu’on recherche un endroit où camper, et ils nous indiquent aussitôt le coin derrière le camion où eux-mêmes dorment dans une tente. « Pas de problème, vous plantez la tente où vous voulez, c’est gratuit, on a même une cuisine, on peut tous manger ensemble ce soir ! » On croit rêver… On découvre la bière locale Sierra Andina qui est franchement délicieuse, et on passe une super soirée avec nos deux hôtes.
Sixième jour
Après un petit-déjeuner bien copieux, nous quittons nos deux barmen pour continuer la descente jusqu’à Yungay. La piste est moins mauvaise, mais on est quand même soulagés en retrouvant l’asphalte une heure et demie plus tard… Le reste de la journée ne mérite pas un long discours, nous retrouvons une route de plus en plus fréquentée en approchant Huaraz. Nous comprenons alors pourquoi les cyclos disent que les Péruviens roulent comme des fous : le problème, c’est surtout qu’il n’y a plus de bas côté où l’on peut rouler en sécurité… Nous sommes donc obligés de rouler sur la route, et on serre un peu les fesses quand on voit arriver un camion de chaque côté… Finalement, on est contents de ne pas traverser tout le Pérou sur ce genre de route !
Et voilà, nous sommes à Huaraz. Le paradis des grimpeurs et des alpinistes. On a un peu l’impression d’être dans une bulle, il y a des magasins de matos de montagne partout, des Occidentaux partout aussi, et là on se rend compte que nous n’avons jamais rien vu de tel depuis le début de notre voyage… Ce qui est plutôt bon signe pour nous, car ce n’est pas en restant dans ce genre d’endroit que nous verrions grand chose de la vie au Pérou. N’empêche que, pouvoir se reposer une journée entière dans un hôtel confortable et manger tout ce qui attire notre regard dans la rue, ça fait quand même du bien 😉
Et au fait ! On a même pu célébrer nos 3000km de vélo autour d’un bon Pisco sour, le cocktail local 🙂
5 Comments
Whaouu, bravo à vous, routes dure mais qui en vaut le détour ! Ça fait rêver toute ces pentes de neige et ces sommets 😍 !!!
Plus c’est dur et plus ça vaut le coup !
C’est pas pareil pour ces flemmards de motards c’est trop facile pour eux 😉
Je pense que tu vas pas tenir longtemps avant de venir les voir de plus près ces sommets !
Putaiiiiiinnnnn les copains ça c’était une sacrée aventure!!! Les paysages ont l’air magnifiques, les pistes improbables et les côtes bien bien raides… 😉 Franchement bravo vous êtes pas des Gringos en carton!
J’ai biiiiiieeennn hâte d’aller voir de plus près les montagnes mythiques moi aussi… Mais pour le moment c’est jungle urbaine à KTM.
Gros bisous les ciclistas, hatas muy pronto! 🙂
On attend avec impatience les montagnes mythiques de chez toi! 🙂
Et non justement détrompe toi au Pérou les pistes ne sont pas raides, les lacets sont parfaits on force jamais trop!
Votre voyage est tout simplement extraordinaire !!!!
Je n’ai pas de mots devant ces photos si belles et qui montrent à quel point vous vivez des moments que je pense exceptionnels.
Bravo encore, je suis tellement heureuse pour vous et merci de nous faire partager tout cela.
Gros bisous
Mam